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La république et les droits des citoyens

Ce colloque a eu lieu le 22 Mai 2010
Litre ci-après, un court résumé ...

Mai 2010 : le Cercle Ramadier a tenu un colloque :

La république et les droits des citoyens

1ère Table ronde : Citoyens et administration, la grande incompréhension

Intervenant : M. Jean-Paul DELVOYE, Médiateur de la République

- de l’incompréhension de l’action de l’administration par le citoyen : Comment rétablir un dialogue avec l’administration, comment adapter et faire évoluer une administration productrice de normes souvent illisibles…

Dans un contexte où l’action administrative est soumise aux coups de boutoir du gouvernement dont l’effort de « simplification » de « réduction de la dette » passe par un démantèlement du service public, comment trouver le bon axe pour une administration qui doit se réformer pour protéger le citoyen ?

L’USAGER ET L’ÉTAT FACE À LA CRISE

Si l’épicentre de la crise que nous avons connue cette année est à situer dans la sphère financière et économique, l’onde de choc a quelque peu secoué la sphère publique, par ailleurs relativement épargnée.

La crise joue alors le rôle de révélateur de difficultés latentes dans la relation qu’entretiennent les usagers avec leur administration, tantôt invisibles car profondément enfouies, tantôt visibles mais copieusement ignorées. Sont alors pointés du doigt la lutte pour obtenir des informations claires, rapides et fiables au même titre que le déficit d’accompagnement lorsque le monde autour change brutalement, notamment lorsque les institutions et la législation elles-mêmes changent. La crise, rendant tangibles ces problèmes, les rend plus insupportables : on observe alors la tension monter chez les protagonistes, jusqu’au point de blocage et parfois d’affrontement.

Que ce soit entre elles ou en direction de leurs publics, les administrations éprouvent de nombreuses difficultés à offrir une communication efficace et harmonieuse. E n résulte bien souvent pour le citoyen une absence de réponse à ses demandes ou des explications insuffisantes, voire contradictoires. Face à ce qu’il perçoit comme un mépris à son égard, l’usager éprouve de surcroît le sentiment d’être ballotté et même malmené par des services administratifs dont les comportements lui apparaissent désinvoltes. D ’un côté comme de l’autre, ce type de situation est générateur de fortes insatisfactions, de stress et de tensions.

Le citoyen perdu dans le labyrinthe des cotisations,

Des administrations en mal de repères

Dès que l’on touche au domaine social, on ne compte plus les assurés qui se plaignent de ne pas comprendre les modes de calcul des cotisations qu’on leur réclame. Les explications qui leur sont données, quand ils parviennent à en obtenir, sont nettement insuffisantes et les conduisent bien souvent à saisir le Médiateur de la République pour les aider à interpréter correctement les demandes des organismes sociaux. Les affiliés au Régime social des indépendants (RSI) sont particulièrement nombreux à se perdre dans les subtilités de leur régime.

Ayant souvent créé une activité indépendante ou libérale sans avoir compris tous les modes de calcul, ils sont désorientés par les cotisations variables, les calculs sur des bases forfaitaires avec régularisation a posteriori. Finissant par ne plus rien comprendre à ce qui leur est demandé, ils ne gardent au fond qu’un sentiment d’injustice face aux injonctions qui leur sont faites. Derrière de nombreuses réclamations adressées au Médiateur de la République se cachent des drames humains.

De nombreuses demandes qui parviennent au Médiateur ou à ses délégués auraient pu être évitées si les services administratifs concernés avaient joué leur rôle et apporté des réponses concrètes.

Il faut également prendre en compte la tendance, de plus en plus répandue chez certains assurés, de choisir à la carte les prestations les plus avantageuses. Face à ces comportements se pose une question : la politique d’information en la matière est-elle suffisante au regard des droits potentiels des assurés, mais surtout, est-elle encore adaptée ?

Certes, le droit à l’information des citoyens est devenu incontournable et les efforts de communication des institutions publiques se sont renforcés pour se rapprocher au mieux du quotidien des usagers. Les citoyens ont également davantage pris conscience des devoirs que l’administration a envers eux. Mais la lente montée de l’individualisme et la plus récente mais néanmoins brutale irruption de la crise ont modifié les comportements.

Le résultat ? Une exigence chaque jour plus forte pour que la loi et la règle soient mises au profit des intérêts particuliers. À divers degrés mais toujours avec force, c’est ce qu’expriment certaines réclamations adressées au Médiateur par des citoyens devenus peu à peu des « consommateurs » de service public. À cet égard, la qualité et l’efficacité du site « service-public.fr » semblent montrer la voie à suivre.

Des lois mal appliquées faute d’instructions claires, longues à obtenir

Parmi les raisons expliquant parfois l’inaction des services de l’administration s’en trouve une quasi imparable : l’absence de décret d’application ou de circulaire. Dans la plupart des cas, même avec la meilleure volonté, les administrations concernées ne peuvent appliquer le texte incriminé sans ce « mode d’emploi ». La circulaire, par les précisions qu’elle fournit, évite des erreurs qui pourraient être préjudiciables aux administrés. Le Médiateur de la République doit donc fréquemment exposer ces considérations aux citoyens qui l’ont saisi et qui ne comprennent pas qu’on leur refuse le bénéfice d’un texte pourtant voté par le Parlement.

Encore faut-il que la circulaire, lorsqu’elle existe, soit effectivement diffusée à tous les agents concernés. Elles sont toutes consultables sur le site : www.circulaires.gouv.fr. …….
Au-delà de la complexité des textes, il faut aussi chercher la cause de cet état de fait dans l’instrumentalisation de la loi. Au fil des ans, les parlementaires ont été appelés à examiner un nombre croissant de lois dont l’objectif n’était que de répondre à la préoccupation du moment. Les citoyens, eux, n’en continuent pas moins à demander l’application de ces lois, expression de la souveraineté nationale. Autre point de blocage qui revient souvent dans les réclamations : le cloisonnement volontaire dans leur domaine ndes différents acteurs et de leurs représentants, qui ne daignent parfois même pas donner à l’usager l’information qui lui serait utile sous prétexte que cela ne relève pas de leur compétence. Avec le sentiment grandissant d’être traité comme quantité négligeable par l’administration, l’administré en vient à questionner la notion même de service public, même s’il ne mesure pas toujours bien le manque de moyens, notamment humains, qui perdure de l’autre côté du guichet.

Ce que l’on peut appeler la maltraitance ordinaire est à placer au rang des grandes menaces de notre société. Non seulement le Médiateur observe une croissance des problèmes liés à ces actes, mais les trouve sous-jacents à de nombreux dossiers qu’il traite.

Le citoyen seul face à un cadre mouvant et insécurisant

Face à l’empilement ininterrompu des textes législatifs et réglementaires, les citoyens ont l’impression croissante d’être en butte à une véritable jungle administrative. Le citoyen se trouve souvent seul, sans aucun mode d’emploi auquel se référer ni interlocuteur auquel s’adresser.

Dans ce contexte, forte est la tentation de considérer que les dispositifs publics censés protéger les citoyens sont défaillants et ne remplissent plus leur fonction première de service au public. Beaucoup finissent par se figurer que le système se protège plus qu’il ne protège les administrés.

Face à la multiplicité des organismes et des administrations, des entreprises de rationalisation de l’organisation administrative sont régulièrement menées dans différents secteurs. Réduire les délais de traitement des demandes, simplifier le parcours de l’administré, diminuer le nombre d’interlocuteurs et de démarches à effectuer… Les objectifs de ces opérations sont simples et clairs : faciliter les rapports des citoyens avec leurs administrations et accroître l’efficacité des processus pour le bénéfice de tous. L’introduction de l’informatique dans les rouages de l’appareil d’État a permis des

avancées non négligeables au service de cette ambition. Mais le recours aux outils technologiques a parfois été la source de nombreux tracas.
Quant au citoyen, faute de disposer de toute l’information nécessaire à son orientation dans le nouveau dispositif et à la compréhension des règles qui lui sont applicables, de nombreuses réclamations montrent qu’il s’est bien souvent senti victime de la rationalisation plutôt que bénéficiaire.
Le constat est alarmant : les situations de détresse dans lesquelles les citoyens perçoivent l’Institution comme leur ultime recours représentent une proportion croissante des réclamations. Leurs requêtes reflètent l’évolution d’une société qu’ils perçoivent comme de plus en plus injuste et dans laquelle tous les recours sont bons pour tenter de rééquilibrer une situation défavorable.

Complexité et opacité du système : des tendances à inverser

Les dossiers dont est saisi le Médiateur de la République concernent de plus en plus souvent un nombre d’acteurs important, ce qui donne lieu à un traitement long et complexe. Le cas des litiges autour des infractions routières, par exemple, où les multiples interlocuteurs peinent de surcroît à coordonner leurs actions, illustre bien comment l’on peut rapidement arriver à des situations kafkaïennes.
Pour un nombre croissant de nos concitoyens, les rapports avec l’administration sont de plus en plus marqués par des ruptures, qui touchent souvent les plus fragiles.
Résultat : des trajectoires individuelles susceptibles de connaître à tout moment une « sortie de route ».

Accentuée par le contexte de crise économique, l’angoisse de l’accident qui pénalise ou exclut prend de plus en plus souvent la forme d’une intervention de l’administration dans des parcours de vie qui ne connaissent plus la sécurité.

Les débats à venir devront privilégier la défense des causes et des personnes par rapport à la sauvegarde des structures.

 

Modérateur : Jean LE GARREC, Ancien ministre, Président du Cercle Ramadier

Patrick GONTHIER, Secrétaire Général de l’UNSA Education

Rapporteur : Anne LE MOAL, membre du bureau national Ramadier

2ème Table ronde : La république et la justice

Débat fondamental pour une vision républicaine de la justice.

Intervenant :

M. Marc TREVIDIC, Juge d’instruction du pôle Anti terroriste au Palais de Justice de Paris, Président de l’association des magistrats instructeurs de Paris.

Nadine MEYDIOT, avocate aux barreaux de Paris et de l’Essonne

Laurent CHAFFARD a été l’animateur et le rapporteur de la table ronde

 

Petits rappels préliminaires sur l’organisation de la justice en France

Affaires civiles : hiérarchie comportant à la base des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance. Au dessus les cours d’appel et au sommet la Cour de Cassation qui est la cour suprême.

Des juridictions d’exception se rajoutent à cette construction : tribunaux de commerce, conseils de prud’hommes, commissions de contentieux de la sécurité sociale, …

Affaires pénales : tribunaux de police (pour les contraventions) et tribunaux correctionnels. Ces 2 juridictions, comme au civil, sont soumises au contrôle de la Cour de Cassation.

Crimes : les infractions les plus graves, appelées crimes, sont de la compétence des cours d’assises, composées de 9 citoyens tirés au sort et de magistrats. Les décisions de ces cours sont passibles d’un appel devant la cour d’assises dans sa formation d’appel ainsi que d’un pourvoi en cassation devant la Cour de Cassation ( mais uniquement fondé sur un moyen de droit, c’est à dire que l’on ne rejuge pas les faits)

Affaires administratives : les différents avec l’administration relèvent d’un système de juridiction distinct. On y trouve des tribunaux administratifs et, statuant en première ou deuxième instance, suivant le cas, le Conseil d’Etat.

Conflits éventuels de compétence : le Tribunal des Conflits règle les problèmes de compétence entre les 2 ordres.

Europe : de plus en plus les cours européennes prennent de l’importance (Cour Européenne des Droits de l’Homme, Cour Européenne de Justice, …). De plus, (cf. Le Monde du 9 février 2007) : « A l’occasion d’un arrêt sur la légalité du système de quotas d’émissions de gaz à effet de serre, conséquence de la mise en œuvre par l’Europe du protocole de Kyoto, le Conseil d’Etat a renoncé à contrôler la constitutionnalité de certains actes, dès lors qu’un texte européen s’interpose entre la Constitution et un texte d’application français. Comme le Conseil Constitutionnel avant lui, qui avait décliné le 10 juin 2004 le contrôle de constitutionnalité d’une loi transposant une directive, le Conseil d’Etat octroie désormais aux textes européens une véritable immunité constitutionnelle. »

Le cas du ministère public : en France notamment, à côté des juges qui instruisent et rendent la justice, se trouve un ministère public, soumis au pouvoir hiérarchique de la Chancellerie, c'est-à-dire du pouvoir politique. Ce ministère public est intégré au service de la justice. Cette construction est souvent regardée comme une offense à la justice, en particulier par de nombreux juristes de pays de « Common Law ». Certains y voient très clairement une menace pour l’indépendance des juges.

La procédure inquisitoire : dans les pays de « Common Law », anglo-saxons principalement, l’initiative de l’action en justice est laissée aux intéressés. Tous les actes de procédure sont accomplis par eux (ou leurs représentants). Il leur appartient notamment de rassembler les éléments de preuve et d’accomplir tous les actes nécessaires à l’avancement du procès. Le juge n’a pour fonction que de juger à partir des éléments qui lui sont fournis. Le juge anglais, par exemple, ignore tout du procès lorsque commence l’audience publique. On parle de procédure « accusatoire ». En France, c’est le principe inverse qui s’applique : le juge une fois saisi, et il peut parfois se saisir lui-même, doit rechercher la solution ; Il a le rôle dirigeant. Ce système paraît à certains plus juste. En effet, dans le système accusatoire la partie capable d’avoir la meilleure assistance l’emportera souvent.

Le pouvoir judiciaire : assurer la justice est la tâche primaire de tout gouvernement. Depuis Montesquieu les Français sont attachés à la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire). Depuis Napoléon, la source normale du droit est la loi. Le juge est l’organe d’application des lois, il est chargé de les interpréter. Mais la nomination et la promotion des juges sont réglées par le pouvoir exécutif. La Constitution de 1958 ne parle d’ailleurs pas de « pouvoir judiciaire » mais d’« autorité judiciaire ». La question que doit occuper la justice parmi les préoccupations de l’Etat est aujourd’hui posée. On considère qu’en général un bon système judiciaire doit être suffisamment rapide et ne pas impliquer des frais excessifs.

 

 

Les travaux de la table ronde ont principalement porté sur la réforme qui a été annoncée par le gouvernement et qui aurait pour conséquence principale la suppression des juges d’instruction.

 

Nadine Meydiot s’attache à montrer dans ses propos introductifs, en se plaçant du point de vue des citoyens et de la défense de leurs droits, combien ce projet est potentiellement liberticide. Pour assoir sa démonstration elle structure son intervention autour des 3 principes de la devise de la République.

Liberté : la procédure pénale commence par la garde à vue et la privation de liberté qui en découle. Les protections des citoyens qui, actuellement, sont déjà faibles, le seront encore plus si le projet du gouvernement venait à être adopté. A noter de plus, accessoirement, que la présence d’un avocat risque de coûter plus cher, voire très cher. Seuls les plus aisés pourront alors s’offrir ses services. Ceci nous conduit au 2ème point.

Egalité : le parquet verrait ses pouvoirs substantiellement accrus, si la réforme était votée, il est à noter qu’il a déjà l’opportunité des poursuites. Or, si les magistrats du siège sont indépendants, il n’en va pas de même du parquet, et c’est là tout le problème : la réforme supprimerait l’intervention des magistrats de siège inamovibles au profit de ceux du parquet qui dépendent du pouvoir politique. On pourrait alors avoir des instructions venant de la Chancellerie ou de la Présidence de la République contraires à la recherche de la vérité. L’égalité de traitement pourrait être largement affaiblie.

Fraternité : la question qui se pose et qui se poserait encore plus serait celle de l’aide juridictionnelle et la commission d’office pour les mis en cause. Ces deux institutions constituent à la fois un mode de désignation et de rémunération de l’avocat. Montant de rémunération qui ne correspond absolument à la réalité et l’ampleur du travail effectué. Ceux qui ont les moyens financiers peuvent se faire assister par des avocats. Ceux qui n’ont pas ces moyens doivent avoir recours à l’aide étatique. Or celle-ci est peu élevée (de l’ordre de 15% du coût réel) et arrive tard[1]. Une conséquence : les avocats s’occupent en général en priorité des clients qui payent et traitent ensuite ceux relevant du secteur assisté. En Grande-Bretagne, le budget consacré à l’aide juridictionnelle est équivalent au budget total de la justice en France !

 

Nadine Meydiot se pose la question suivante pour conclure : la réforme proposée est tellement insatisfaisante, inopportune, incongrue, saugrenue, que l’on doit se demander « pourquoi une telle réforme et à qui profiterait-elle » si elle était votée ?

 

Marc Trevidic est d’accord avec Nadine Meydiot : la question financière est effectivement une question importante. La défense aura les moyens qu’on voudra bien y mettre. Si on n’y met pas les moyens, c’est se moquer des gens[2].

 

Marc Trevidic part, pour son argumentation, du point central que constitue la police : en Grande Bretagne et au Canada par exemple, ce n’est pas le ministère public qui dirige les enquêtes, mais la police. Celle-ci est moins dépendante, historiquement, culturellement, du gouvernement ; elle conduit ses investigations à charge et à décharge. Demain, si c’est le parquet qui en est chargé, comme c’est prévu, comment va faire le magistrat ? Pourra-t-il, sans être schizophrène, instruire à charge et à décharge lorsqu’il enquête et, s’il poursuit, représenter l’accusation ?

 

On oublie souvent que c’est la police qui fait la plus grande partie du travail car les magistrats n’ont pas les moyens de tout suivre. Si la réforme est adoptée, toute l’instruction reposera sur le parquet, qui dépend du Ministère de la justice et sur la police qui dépend du Ministère de l’intérieur. Est-ce que ceci va dans le sens de l’indépendance de la justice ?

 

On se rend déjà compte aujourd’hui que, dès qu’une affaire est sensible, elle remonte au Ministère et à la Présidence de la République. Demain, si dans tous les cas le parquet à la totalité de la main sur l’instruction et sur la décision de la poursuite, que pensez-vous qui se passera ? Est-ce une garantie d’impartialité ? Le fait que les magistrats du parquet ne soient pas inamovibles, au contraire des magistrats du siège, ne risque-t-il pas d’influencer certaines décisions ?

 

Un système démocratique repose sur des pouvoirs et des contrepouvoirs. Si le juge d’instruction disparaît, restera le contrepouvoir des avocats. On peut penser que telle grande entreprise, tel personnage ayant des ressources importantes, pourront se payer des cabinets d’avocats efficaces. Qu’en sera-t-il pour les autres ? Que deviendront les citoyens « ordinaires » dans un tel système ? Déjà dans le système actuel les avocats sont peu présents dans les procédures.

 

Actuellement, les juges d’instructions n’interviennent que dans environ 4% des affaires. Mais se sont les affaires les plus délicates, celles pour lesquelles il peut y avoir détention provisoire. Suite à l’affaire d’Outreau, une réflexion a été conduite pour améliorer le dispositif actuel. Trois lois ont été votées le 5 mars 2007, dont une visant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale qui institue la collégialité à certains moments de la phase d’instruction : il était prévu qu’à partir du 1er janvier 2010 un collège de 3 magistrats soit constitué afin de prendre les décisions les plus graves concernant l’instruction des affaires les plus difficiles. Or, l’application de cette loi est repoussée. Pourquoi ?

 

Dans la réforme proposée par l’actuel gouvernement, le parquet dirige l’enquête et décide de poursuivre ou pas. Un « juge de l’enquête et des libertés » est institué, censé faire contre-pouvoir au parquet tout puissant. Ce système existe en Allemagne. Il ne fonctionne pas. Pourtant l’organisation territoriale allemande en länder est plus favorable que l’organisation jacobine française. On peut donc en déduire que si ce dispositif est introduit en France il marchera encore plus mal que chez nos voisins.

 

Marc Trevidic conclue en disant que, selon lui, le juge d’instruction constitue un mal nécessaire, mal qui peut être réduit si la collégialité prévue par la loi du 5 mars 2007 est bien appliquée.

 

La parole circule et de très nombreux participants interviennent manifestant ainsi leur intérêt pour le sujet.

 

Question : pourquoi refuser aux avocats le pouvoir d’investigation ?

Réponse : rien dans le droit français n’interdit à un avocat d’enquêter. Le danger : la subornation des témoins. Cela risque d’être perçu comme une volonté d’influencer les témoins, ce qui n’est pas le cas avec un juge d’instruction. Les pays anglo-saxons ont un autre système. Le juge, en France, est chargé d’instruire à charge et à décharge. Certains avocats se gardent de toute relation avec les témoins car ils savent que, sinon, ils risquent de « plomber » toute la procédure.

Marc Trevidic a participé aux travaux de la commission qui a été mise en place suite à l’affaire dite d’« Outreau ». Le constat principal est celui de l’inefficacité de la chambre de l’instruction ; dans les textes, celle-ci a tous les pouvoirs. Le problème est que, ne connaissant pas les dossiers, elle ne peut pas contrôler.

Question : le niveau des indemnités n’est-il pas trop bas en France ?

Réponse : suite à l’affaire d’Outreau le niveau a été relevé. Mais, au cas particulier, c’est le Ministre lui-même qui est intervenu. Il convient de savoir que, bien entendu, ces indemnités sont versées par l’Etat.

Question : est-ce le contribuable qui paye ?

Réponse : oui

Question : on observe souvent une connivence entre le juge d’instruction et le parquet qui est dangereuse en termes de libertés. Pourquoi la collégialité n’est-elle pas instituée ? Qu’en est-il de la problématique de la carte judiciaire ?

Réponse : il faut effectivement aller vers la collégialité ; c’est prévu par la loi du 5 mars 2007. Cela rend d’autant plus incompréhensible le projet du gouvernement qui contredit cette loi de 2007 en confiant au parquet les mises en examen. C’est le ministère public qui sera le maître du jeu. On peut prédire que dans certains cas la justice sera instrumentalisée si ce projet est voté.

Vous faites référence à d’éventuelles « connivences ». Il est clair que certains juges sont courageux et d’autres moins. Certains juges d’instruction ont par exemple du mal avec l’obligation d’instruire également à décharge.

Il convient d’insister sur les contrôles. Les chambres d’instruction devraient avoir les moyens de remplir leurs missions correctement. A Paris l’instruction n’est jamais contrôlée. Il y a là un problème de fond. De plus (cf. supra), les chambres d’instruction ne contredisent (quasiment) jamais l’instruction. Elles sont d’ailleurs généralement désignées par l’expression « chambres de confirmation ». De plus en plus d’avocats renoncent d’ailleurs à s’adresser à elles.

Concernant la carte judiciaire, il peut être envisagé, pour les affaires délicates, afin en particulier d’assurer la collégialité, de regrouper certains tribunaux. Cela ne semble pas être en revanche une bonne chose pour les autres affaires (cas des tribunaux d’instances par exemple).

Question : la réforme annoncée ressemble fort à une réforme politique et non technique. Pouvez-vous revenir sur les risques qu’elle ferait courir aux valeurs de la République ?

Réponse : la réforme est bien une réforme politique, sans rapport avec les questions qui ont été posées suite à l’affaire dite « d’Outreau », qualifiée fréquemment de « désastre judiciaire ». Il faut donc se poser la question : à qui va profiter la réforme si elle est adoptée ?

Dans une affaire récente, l’affaire JD, aucun juge, du début à la fin, n’a été saisi. Cela a permis au ministère public, dans cette affaire politique, d’adapter en permanence sa position en fonction des besoins. De plus la décision finale, qui a été en l’occurrence de ne pas poursuivre, n’est susceptible d’aucun contrôle. Le résultat est qu’on ne sait rien de l’affaire. Cela n’arrive pas avec un juge car il y a une audience et possibilité d’appel.

Dans l’affaire JC, le parquet a conclu pour la non poursuite ; le juge a décidé de passer outre et de renvoyer devant un tribunal correctionnel.

Dans le projet il est également question que le Président du tribunal soit tenu à la totale neutralité. Les avocats de la défense iront « négocier » avec le procureur. On imagine ce qui se passera dans certains cas.

 

Question : quid des rapports entre les juges et les journalistes ?

Réponse : Le secret de l’instruction est devenu une « grosse rigolade ». En effet beaucoup trop de personnes ont l’information dans certains cas. De plus les citoyens ont un droit à l’information. Ce qui est important c’est la présomption d’innocence, pas le secret de l’instruction.

Des mesures « techniques » peuvent être envisagées. C’est ainsi qu’en Grande Bretagne les noms des personnes ne sont pas publiées.

Question : quelle place pour le Conseil Supérieur de la Magistrature ?

Réponse : il y a peu de temps encore, ses avis étaient suivis dans 95/96% des cas. Aujourd’hui environ 75% de ses avis ne sont plus suivis.

Question : vous avez insisté sur le rôle capital de la police. Pouvez-vous revenir sur les moyens de l’enquête.

Réponse : lorsqu’un magistrat demande à la police d’enquêter, plusieurs cas peuvent se produire. Tout d’abord, tout simplement il peut n’y avoir aucun enquêteur de disponible ; il appartient alors au juge d’instruction d’enquêter éventuellement lui-même. Il peut ensuite être confronté, pour diverses raisons, à un faible empressement des forces de police qui peuvent éventuellement avoir reçu des instructions. En Italie une partie des forces de police sont sous les ordres de magistrats.

Question : pouvez-vous en quelques mots conclure sur le sens général de la réforme envisagée ?

Réponse : la solution proposée n’a rien à voir avec la question posée au départ (suites de l’affaire dite d’« Outreau »). On a l’impression que la plus haute autorité de l’Etat a dit : « supprimez le juge d’instruction et construisez une « réforme » autour de cette suppression ».

La collégialité est une réponse simple à la question qui se pose réellement. De plus elle est prévue par la loi du 5 mars 2007. Pourquoi encore changer ? On instrumentalise la justice et, au lieu de répondre aux questions posées ont répond à des questions qui ne le sont pas.

On ne prend pas le temps de réformer. Cela ressortait des interventions de la matinée : on répond à l’émotion de l’opinion publique, on répond aux attentes du chef, on vote des lois de circonstance, mais on ne répond pas aux questions de fond qui se posent aux citoyens.

Jean Le Garrec remercie chaleureusement les intervenants pour la qualité de leurs apports. Il remercie également tous ceux qui ont participé au colloque. Le Cercle Ramadier a peu de moyens. Il s’efforce cependant de répandre un certains nombre de vérités. Il entend continuer à travailler à bâtir une humanité plus juste et plus éclairée. Il lance un appel à tous ceux qui partagent cette analyse : faites connaître les travaux du Cercle, associez-vous y plus activement si vous le pouvez. La situation actuelle est grave à n’en pas douter. Il y a dans ce contexte quelque intérêt et quelque honneur à mener le combat des valeurs de la République.

Il annonce enfin le prochain colloque qui devrait avoir lieu en octobre et avoir pour thème le travail face à la financiarisation du monde (titre possible : les conséquences de la financiarisation de l’économie, qualitatives et quantitatives).

 

[1] Selon une étude internationale, la France consacre 53 € par habitant et par an à l’aide judiciaire ce qui correspond à 0,19% de son PIB. Ces chiffres sont respectivement de 82 € et 0,27% pour la Belgique, 81 € et 0,23% pour la Suède, 66 € et 0,30% pour l’Espagne, 70 € et 0,26% pour l’Italie, 99 € et 0,30% pour la Hollande, 106 € et 0,38% pour l’Allemagne, 30 € et 0,16% pour la Grèce.

[2] Note du rédacteur : dans la situation actuelle des finances publiques, la réponse est vite trouvée hélas …

Modérateur : Laurent CHAFFART, fonctionnaire, cadre des services publics

 

cercleramadier@orange.fr ou mcbm@ramadier.fr

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