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Valeur Travail ou Valeur du travail

Pendant presque deux ans, la situation statistique de l’emploi s’est améliorée. Amélioration fragile puisque les prévisions sont moins bonnes pour les mois à venir. Malgré cela, la France a le taux de chômage qui reste l’un des plus forts d’Europe pour les moins de 25 ans et un taux d’emploi des plus de 55 ans très faible. Cette situation est dramatique pour beaucoup de salariés. On en connaît les conséquences pour l’équilibre financier des comptes sociaux et particulièrement celui des retraites.
Plus de 5 millions de citoyens sont en situation très difficile, chômage, emplois précaires, petits boulots, galères, peur du lendemain et de l’avenir. A cela s’ajoute pour ceux qui ont un travail, la crainte des licenciements, restructurations, délocalisations.
Pour beaucoup d’entreprises avec la hantise de la rentabilité des fonds propres à 15 %, l’emploi est la variable d’ajustement.

 

C’est dans cette situation que le MEDEF avance sa proposition de « licenciement à l’amiable » comme si le salarié avait le pouvoir de négocier dans une situation d’un rapport de force inégalitaire.

Le contrat « nouvelle embauche » avec la possibilité d’un licenciement sans motif est un échec, puisque contraire aux principes du BIT (Bureau international du travail). Le groupe socialiste s’était opposé vigoureusement, lors du débat à l’Assemblée nationale.

Dans cette situation ou aucun responsable politique ne peut s’exonérer d’une part de responsabilité, particulièrement pour la majorité actuelle, on assiste à une floraison de déclarations étonnantes si ce n’est scandaleuses. La ministre de l’économie peut recevoir la palme de l’inacceptable lorsqu’elle déclare « qu’il faut cesser de réfléchir et que le moment est venu de se retrousser les manches ». Monsieur Baverez, journaliste très écouté par le patronat écrit qu’il faut « réhabiliter le travail ». Un jeune secrétaire national du Parti socialiste déclare qu’il est dommage que la gauche ait laissé la « valeur travail » à la droite.

Pendant trente ans j’ai rencontré dans le Nord, terre de courage et de travail, des centaines de salariés, confrontés à des plans de licenciement, des jeunes en galère, des syndicalistes, se battant pour éviter le pire. Je n’ai jamais vu un chômeur heureux, ni un Erémiste satisfait de sa situation.

Dans un livre excellent « Travailler pour être heureux ? » Christian Baudelot et Michel Gollac écrivent : « Le travailleur retire beaucoup plus que de l’argent de l’exercice de son métier. Le travail est plus que le travail : lorsqu’il se délite, les modes de socialisation et les formes d’intégration qui y étaient associées risquent de se fracasser ». A quoi l’on peut ajouter ce qu’écrit Pierre Bourdieu : « C’est parce que le travail procure en lui-même un profit que la perte d’emploi entraîne une mutilation symbolique qui est imputable, autant qu’à la perte du salaire, à la perte de raisons d’être associé au travail et au monde du travail ».

Nous avons tous en mémoire, le visage figé, douloureux, de femmes et d’hommes, faisant des métiers durs, souvent dangereux, alors qu’ils se battent pour éviter les licenciements. Je pense à Metaleurop, à la Lainière et à bien d’autres situations.

Dire à ceux-là qu’il faut retrousser les manches et qu’il est nécessaire de réhabiliter la valeur travail est insultant.

Dans une économie mondialisée, où la finance maîtrise totalement les paramètres du pouvoir, autre chose est d’engager une réflexion et un débat sur la valeur du travail. Dans un marché ouvert, où il y a d’un côté l’entreprise ses contraintes et ses nécessités, et de l’autre le salarié qui apporte sa force de travail, sa compétence et son intelligence, comment maintenir un équilibre toujours précaire, pour éviter un échange inégal et cela même dans l’intérêt de l’entreprise.

Dans une situation où la concurrence est rude, les mutations techniques rapides, l’investissement en recherche un impératif, la mobilisation du salarié et de ses compétences devient plus que jamais indispensable. Cela ne peut se faire qu’en menant débat et négociations sur plusieurs problèmes.

- les salariés : croit-on qu’il suffit d’abaisser comme quelques responsables patronaux le disent, le coût du travail pour développer une économie et gagner des parts de marché à l’international. L’exemple de l’Allemagne prouve le contraire.

- La formation permanente : On sait qu’elle est insuffisante, particulièrement pour les ouvriers les moins qualifiés. Pour s’en convaincre, il suffit d’analyser la répartition de formation selon les différentes catégories de salariés.

- Les conditions de travail : problème majeur, sujet clef pour les années à venir, qu’il s’agisse du stress, des maladies professionnelles ou l’intensification des cadences. Sur ce sujet, nous avions fait un travail utile avec l’ancien ministre du travail Monsieur Larcher. Le ministre en charge de ce travail, Xavier Bertrand, veut relancer la concertation. Tant mieux. Encore faut-il faire vite si l’on veut éviter un nouveau drame comme celui de l’amiante. La France a pris du retard, en comparaison avec bien des pays, particulièrement nordiques. L’enquête de la CFDT à l’usine PSA de Mulhouse montre l’aggravation de la souffrance ouvrière. 859 salariés ont répondu au questionnaire du syndicat. Le stress est supérieur à la moyenne pour 79 % des agents de production, 87 % des OP, 92 % des Etam et 95 % des cadres. (Cf Libération du 7 Septembre 2007). Le responsable du syndicat déclare « les liens sociaux disparaissent au profit de la productivité ». Qui viendra dire aux ouvriers de PSA qu’il faut se retrousser les manches ?

- La place des salariés et donc de leurs représentants dans l’élaboration et l’évolution d’une stratégie d’entreprise

L’histoire sociale de notre pays est très riche et le plus souvent conflictuelle. Les situations heureusement ne sont pas les mêmes. Il arrive pourtant que des luttes et des thèmes retrouvent une actualité. Une musique qui résonne avec des notes identiques, des sonorités qui reviennent. Je vais prendre deux exemples :

Suite au rapport Villerme avec son tableau moral et physique des ouvriers employés dans les manufactures de laine, de coton et de soie, l’opinion s’émeut des conditions d’emploi d’enfants de moins de dix ans. H. Guillemin, dans son livre sur « La première réssurection de la République » analyse le débat qui s’engage en 1841 à la Chambre des députés. L’objectif est de limiter le travail à 8 heures par jour pour les enfants de moins de 10 ans. Des députés s’indignent sur cette remise en cause de la liberté de l’employeur : M. Grandin, filateur à l’Elbeuf, Thermistocle, Lestiboudois et quelques autres. Le rapporteur déclare avec force « nous ne voulons pas qu’ils vivent jusqu’à 10 ans sans avoir contracté l’habitude salutaire du travail ». La loi sera votée le 22 mars 1841, avec un amendement : de 12 à 16 ans ils pourront être employés 13 heures.

Il faudra plus de cinquante ans pour une véritable application de ce texte. En 1868 une enquête révèlera la présence dans les usines françaises de quelques 100.000 enfants de moins de dix ans.

Dans un petit libre très remarquable « L’établi » dont l’auteur R. Linhart travaille à l’usine Citroën, Porte de Choisy, il raconte la chaîne, le bruit, les méthodes de surveillance. Il écrit : « face au malaise social, les gouvernements ne traitent le plus souvent que les symptômes, faute de prendre en compte le fond du problème ».

La mémoire collective de notre histoire sociale demeure très forte. Si l’on veut mobiliser les forces, faire bouger les lignes, il est indispensable d’en tenir compte.

Evitons les faux débats qui bloquent et accusent. Nous sommes capables de dépasser la controverse entre Helvetius et Diderot. Mais je refuse l’affirmation gratuite de je ne sais quelle valeur en soi, elle est contraire à l’émergence indispensable de nouveaux acteurs collectifs.

Jean Le Garrec

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