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LA REPUBLIQUE

Synthèse et ajout

Synthèse par Mme. Céline Rigo d'une partie des travaux organisés par
le Cercle Ramadier le Lundi 16 Mars 2015 à l'Assemblée Nationale Salle Colbert.

Parmi les réponses institutionnelles, au-delà des mesures sécuritaires, le rôle de l’éducation a été particulièrement mis en avant. Mais est-ce à l’École seule d’apporter ce type de réponse ? Comment les enseignants y sont-ils préparés et à quelles difficultés sont-ils confrontés ?
A la première question, je vais répondre très clairement : non.

Non, ce n’est pas à l’Ecole seule de répondre aux nouveaux enjeux sociaux, ni de se charger seule de transmettre les valeurs de la République.

Cette réponse ne vous surprendra certainement pas, mais c’est une véritable préoccupation pour moi, comme pour tous les enseignants. Depuis des années, j’entends la même exclamation, à chaque problème qui arrive à la une des médias : mais que fait l’Ecole ?

Paradoxalement, cette École qui a vu passer entre ses mains les trois terroristes est la même qui a conduit près de quatre millions de personnes à se lever dans toute la France le 11 janvier.

En ce sens, l’École n’a pas failli. Mais l’Ecole ne peut pas tout.

Si, depuis le XIXe siècle, l’École joue un rôle fondamental dans la formation des futurs citoyens, elle ne peut à elle seule en assumer la responsabilité. Peut-être ne peut-elle tout simplement pas fonctionner correctement sans une République irréprochable...

 

Car ce sont les discriminations au sein de la société française, l’écart entre les valeurs affichées et les réalités vécues, qui encouragent les replis identitaires et entament l’ambition, portée par l’École, d’égalité et de fraternité, dans la laïcité.

En effet, loin d’être un sanctuaire, l’École (prise dans son acceptation large d’école publique primaire et secondaire) est le reflet de notre société, avec ses tensions et ses inégalités.

Mais c’est aussi l’institution, peut-être la seule institution, dont les acteurs, quotidiennement, âprement, pied à pied, luttent contre la violence, le racisme et la xénophobie.

Quand la ministre NVB annonce aujourd’hui une « Grande mobilisation de l’Ecole pour les valeurs de la République », à quoi pense-t-on ?

Nul doute que nos pensées se tournent vers nos « pères fondateurs », dont vous connaissez les noms aussi bien que moi, ceux dont les longs combats politiques ont contribué à créer ce régime démocratique particulier qu’est la République française. Depuis le début, Ecole et République y sont intrinsèquement liées, « laïcité et démocratie sont indivisibles » comme disait Jaurès.

A la fin du XIXe s, l'école primaire publique et laïque, en tant que projet politique, avait pour ambition d’émanciper les individus et de consolider la République.

Véritable « fabrique de la nation », elle s’est vu confier pour mission de transmettre une culture universelle et rationnelle. Ce qui allait de pair avec la neutralité de l’institution, et donc la laïcité.

Afin de créer un espace particulier propice à la formation d’une pensée autonome et à l’apprentissage du vivre ensemble, l’Ecole s’est coupée par nécessité de son environnement social immédiat.

Parce qu’elle accueille des libertés en voie de constitution, l’école publique s’efforce, aujourd’hui encore et malgré toutes les difficultés, de distancier l’espace scolaire des pressions de l’espace civil ordinaire.

Comme le dit Catherine Kintzler, le passage par l’école est « un moment où on fait un pas au-delà de la simple tolérance, un moment où le doute est non seulement permis, mais requis. Cela ne signifie pas qu’on doit rompre avec son appartenance, avec sa communauté, mais qu’il y a un moment où on n’a affaire qu’à sa propre pensée. »

Cette mise à distance vis-à-vis de ce que l’on croit penser, de ce que l’on croit être, pour le dire en un mot cette laïcité, était jugée nécessaire par les initiateurs de l’école publique pour forger des citoyens éclairés.

Or cette laïcité, aujourd’hui mal comprise, s’est transformée au fil du temps en laïcité d’abstention (surtout, on ne parle pas de ce qui peut créer des tensions) ou en simple présentation des différentes options culturelles et cultuelles, qui laisse chacun campé sur ses représentations et ses appartenances, sans créer de commun.

En un sens, la massification de l’enseignement secondaire, même si elle a permis au plus grand nombre d’accéder aux savoirs, a aggravé les choses, en calquant sur le collège unique des attendus républicains qu’il n’était pas capable de porter.

Après 1968, la morale traditionnelle des grandes maximes a été progressivement remplacée par l'éducation civique. Le souhait actuel d'inculquer une « morale laïque » (qui s’appellera finalement EMC, Enseignement moral et civique) montre l'échec de cette matière introduite il y a 30 ans.

Sans doute parce qu’au collège, elle a été traitée comme une discipline, apanage des professeurs d’histoire-géographie, et que les autres enseignants s’en sont désintéressés. Peut-être parce qu’à l’école primaire, les enseignants n’y ont pas accordé le temps qu’il aurait fallu. Quant à l’ECJS au lycée, c’est encore un parcours vécu comme une contrainte par les élèves.

Pourtant l’éducation à la citoyenneté est essentielle. A condition d’être au clair sur cette notion. Il me semble qu’on la confond encore trop souvent avec le civisme, voire avec la civilité.

Pire, dans le projet de programme d’EMC, l’accent est mis sur « acquérir le sens des règles » et sur l’obéissance à celles-ci au détriment des droits. Il manque purement et simplement « connaître ses droits et ceux des autres, les défendre et les revendiquer » !

Telles qu’elles nous ont été présentées, les Onze mesures, annoncées par NVB, vont dans le même sens, puisqu’on y parle de « rétablir l’autorité des maîtres et les rites républicains » avant même de parler de « développer la citoyenneté et la culture de l’engagement avec tous les partenaires de l’Ecole » ou de « combattre les inégalités et favoriser la mixité sociale ».

Or l’autorité ne se rétablit pas, elle se gagne, dans la confiance, sinon elle est vécue comme une violence.

Après le massacre d’Utoya (2011), le premier ministre norvégien souhaitait répondre au terrorisme par « plus de démocratie, plus d’ouverture. » La réponse française, au-delà des mesures sécuritaires nécessaires, c’est encore plus de pression sur la jeunesse. Or, plutôt qu’un recours à l’autorité, je pense que ce dont l’Ecole a besoin, c’est de démocratie.

Les valeurs ne s’enseignent pas, elles se pratiquent. Dans l’Ecole, elles doivent être portées par des adultes et par une institution exemplaires, qui les font vivre aux élèves. Sinon, ce qui est transmis, c’est un simulacre de démocratie, la soumission à des règles qui arrangent les adultes et qui conduisent à la résignation. Ou la révolte.

J’entends parfois dire, par les enseignants eux-mêmes, qu’un établissement scolaire, qu’une classe, n’est pas une démocratie et qu’il ne faut donc pas essayer de la singer. La professeure d’histoire reste perplexe face à de tels propos. L’Ecole serait donc une dictature, fût-elle bienveillante ?

Si la démocratie, c’est le « vivre ensemble », si c’est la possibilité pour chacun de s’épanouir, d’agir pour un bien commun, de proposer, le tout en respectant des règles communes élaborées avec l’assentiment de tous, je ne vois pas d’antinomie avec le monde scolaire.

Dans le cadre fixé par un règlement intérieur partagé, il est tout à fait possible de faire vivre des moments démocratiques, basés sur des principes comme la coopération et la représentation.

Mais il ne faut pas qu’en sortant de l’Ecole, ces principes soient balayés par la réalité.

Pour répondre à la deuxième question, (Comment les enseignants y sont-ils préparés et à quelles difficultés sont-ils confrontés ?), je dirais que les enseignants ont besoin d’être accompagnés et formés.

Lors des évènements de janvier, beaucoup de citoyens ont été choqués par les réactions de certains élèves (refus de la minute de silence, justification des actes de violence). Les enseignants eux-mêmes se sont bien souvent sentis démunis, notamment parce que la prise en charge de ce moment de recueillement national n’a pas été géré collectivement, par l’ensemble de l’équipe éducative. Sans doute aussi parce que, peu ou pas formés au débat, à la gestion des conflits, ils ont été débordés par ces évènements extraordinaires.

Il faut néanmoins rendre à ce phénomène sa juste proportion, en tenant compte du public, notamment des adolescents dans toute leur complexité. Il y a plus de 10 millions d’élèves en France, répartis dans 64000 écoles et établissements publics, et il y a eu quelques centaines d’incidents.

Pour autant, la transmission des valeurs républicaines au sein de l’Ecole est quelque chose de complexe, et surtout un travail sur le temps long.

On ne forme pas des futurs citoyens sur un claquement de doigt, tout comme on ne forme pas des enseignants aguerris en quelques années d’université, quand bien même ils passeraient par l’ESPE (Ecole supérieure du professorat et de l’éducation).

Il faut montrer aux équipes éducatives qu’elles sont reconnues et soutenues dans leur mission de transmission des valeurs républicaines, ne seraient-ce que pour qu’elles se convainquent elles-mêmes que c’est leur rôle et qu’elles peuvent le faire.

Cela passe par une mobilisation de tous les acteurs de l’Education nationale, du recteur aux chefs d’établissement, en passant par les corps d’inspection. Ils doivent être physiquement sur le terrain afin d’accompagner, au plus près, tous les membres des équipes éducatives.

Mais ils doivent aussi travailler avec les enseignants et oublier les habituelles injonctions hiérarchiques pour construire ensemble cette mobilisation citoyenne de l’Ecole. A part dans certaines disciplines, la philosophie et l’histoire notamment, la plupart des enseignants ne sont pas armés pour le débat. Mais les ressources pour les former existent au sein même de l’Education nationale. Il est par exemple dommage qu’à l’heure où on recrute des milliers de formateurs laïcité, les procédures de candidature soient tellement opaques dans certaines académies.

La formation initiale et continue des personnels doit être renforcée, aussi bien en terme de contenus que de pratiques.

On nous annonce que les futurs candidats aux concours seront évalués sur leur capacité à faire partager les valeurs de la République. Mais il faut aussi les former au débat démocratique, à l’histoire et à la philosophie, à la laïcité, même si ce sont des profs de math ou des enseignants de maternelle.

La transmission des valeurs de la République passe aussi, bien entendu, par la mobilisation des partenaires de l’Ecole, avec leurs compétences propres, leur diversité. Je ne vais pas les énumérer ici.

Pour conclure, je dirais que la question, pour l’Ecole, n’est pas « qu’est-ce que nous avons raté ? », mais « quelle école voulons-nous pour quelle société ? »
L’Ecole est une promesse démocratique. Il nous appartient à tous de la tenir.

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F. J.
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